Le bonheur nous rend heureux
Et le malheur malheureux,
Voilà la différence.
Cette belle ode est de M. de Bièvre. Je n’ai jamais rien entendu de plus mélancoliquement bête ; et, tandis que nos compagnons rient aux éclats de cette bonne platitude de campagne, il me vient toujours un sentiment de tristesse en l’entendant. Sais-tu bien que tout est dit devant Dieu et devant les hommes quand l’homme infortuné demande compte de ses maux et qu’il obtient cette réponse ? Qu’y a-t-il de plus ? rien. L’ordre éternel et fatal qui nous mesure le bien et le mal est là tout entier ; c’est comme le mal de dents, auquel je comparais l’autre jour nos douleurs morales. Y a-t-il une plainte partant de la terre qui mérite une autre attention que cette ironie à la fois chagrine et douce d’un autre malheureux à moitié égayé par le vin, qui constate gravement votre douleur comme un fait remarquable ?
Quand la voix terrible de Dutheil a cessé d’ébranler les vitres, mon frère vient hasarder les pas les plus gracieux que jamais ours ait essayés sur le bord des abîmes. Alphonse, couché à terre, joue du violon sur la pincette avec la pelle ; son grand profit dantesque se dessine sur la muraille, et le rire donne des cavités lugubres à ses lignes sévères. Charles erre autour d’eux comme un méchant gnôme, d’humeur facétieuse, toujours prêt à renverser un verre dans une manche et à faire rouler un danseur mal assuré. Oh ! ceux-là, ce sont mes vieux, mes anciens, ceux qui savent qu’on peut être très-gai et très-triste en même temps, mais qui sont facilement heureux du bonheur d’autrui et recommencent la vie après avoir souffert.
Et de quoi se plaindraient-ils, ces enfants gâtés de la destinée ? Regarde ce groupe charmant jeté comme un bouquet autour du piano. Ce sont leurs femmes et leurs sœurs ; c’est Agasta et Félicie, ces deux sœurs si tendrement unies,