Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/157

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si bonnes, si douces et si finement naïves ! c’est Laure et sa mère, toutes deux si belles, si nobles, si saintes ! c’est Brigitte avec ses yeux noirs et sa gaieté brillante ; c’est notre belle Rozane et notre jolie Flamande Eugénie. Connais-tu rien de plus frais et de plus suave que ces fleurs provinciales, écloses au vrai soleil, loin des serres chaudes où nos femmes des villes s’étiolent en naissant ? Que Laure est céleste avec sa pâleur et ses grands yeux noirs au regard religieux et lent ! Qu’Agasta est mignonne avec ses joues de rose du Bengale éclose sur la neige, sa mine espiègle et nonchalante, son petit parler indigène si doux et son petit bonnet de blanche nonnette ! L’indolence de Félicie a quelque chose de plus triste, son sourire a de la mélancolie. L’amour et la douleur ont passé par là, la résignation et le renoncement ont mis leur sceau sur ce front calme qui s’est baissé tant de fois dans les larmes de la prière chrétienne ! Sur quoi pleures-tu, grande Romaine ? N’as-tu pas, au milieu de tes douleurs, conservé le précieux trésor de la bonté, qu’il est si facile aux femmes infortunées de perdre ? Mon ami, qu’il fait bon vivre parmi des êtres si peu fardés, parmi des femmes aussi belles de cœur que de visage, parmi des hommes fermes, laborieux, sincères, religieux en amitié ! Viens donc souvent ici : tu guériras.

Maintenant, si tu me demandes pourquoi, étant si heureux, je m’en vais toujours à l’entrée de l’hiver, je te le dirai ; mais garde ceci pour toi seul. — Il m’est absolument impossible d’être heureux en quelque situation que ce soit désormais. L’amitié est la plus pure bénédiction de Dieu ; mais il est un bien qui n’a pu rester avec moi, et je mourrai sans avoir réalisé le rêve de ma vie. Faire de son cœur dix ou douze portions, c’est bien facile, bien doux, bien gracieux. Il est charmant d’être le bon oncle d’une joyeuse couvée d’enfants ; il est touchant de vieillir au milieu d’une famille d’adoption, aux lieux où l’on a grandi ; mais il y a, entre le bonheur de tout ce qui m’entoure et le mien, beaucoup