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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/211

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pipe, une plume et de l’encre ; moyennant quoi je gagnerai ma vie joyeusement, et passerai le reste de mes jours à écrire que vous avez bien fait.

Si je ne reviens pas, voici mon testament. Je lègue mon fils à mes amis, ma fille à leurs femmes et à leurs sœurs ; le tombeau et le tableau, héritage de mes enfants, à toi, chef de notre république aquitaine, pour en être le gardien temporaire ; mes livres, minéraux, herbiers, papillons, au Malgache ; toutes mes pipes, à Rollinat ; mes dettes, s’il s’en trouve, à Fleury, afin de le rendre laborieux ; ma bénédiction et mon dernier calembour, à ceux qui m’ont rendu malheureux, pour qu’ils s’en consolent et m’oublient.

Je te nomme mon exécuteur testamentaire ; adieu donc, et je pars.

Adieu, ô mes enfants ! j’ai été jusqu’ici plus enfant que vous ; je m’en vais seul et loin en pèlerinage, pour tâcher de vieillir vite et de réparer le temps perdu. Adieu, mes amis, mes frères bien-aimés ; parlez quelquefois, autour de l’âtre, de celui qui vous doit les plus beaux jours et les plus chers souvenirs de sa vie ; et toi, maître, adieu ! sois béni de m’avoir forcé de regarder sans rire la face d’un grand enthousiaste, et de plier le genou devant lui en m’en allant.

Ô verte Bohème ! patrie fantastique des âmes sans ambition et sans entraves, je vais donc te revoir ! J’ai erré souvent dans tes montagnes et voltigé sur la cime de tes sapins ; je m’en souviens fort bien, quoique je ne fusse pas encore né parmi les hommes, et mon malheur est venu de n’avoir pu t’oublier en vivant ici.