Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/328

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gravement la théorie de son art le long des abîmes et monté sur un mulet.

— En effet, reprit judicieusement le magistrat de la ville de Fribourg, ils ont tous de longs cheveux tombant sur les épaules comme lui ; mais, ajouta-t-il en arrêtant son regard investigateur sur le personnage problématique de Puzzi, qu’est-ce que cela ?

— Une célèbre cantatrice italienne qui le suit sous un déguisement.

— Oh ! oh !… s’écria le bonhomme avec un sourire tout à fait malin, j’avais bien deviné que celui-là était une femme !…

Tout à coup l’air manqua aux poumons de l’orgue, sa voix expira et il rendit le dernier soupir entre les mains de Franz. Le premier coup de vêpres venait de sonner, et l’âme de Mozart eût en vain apparu pour engager le souffleur à retarder d’une minute la psalmodie nasillarde de l’office. J’eus envie d’aller lui donner des coups de poing, et je pensai à toi, aimable Théodore, facétieux Kreyssler, Hoffmann ! poëte amer et charmant, ironique et tendre, enfant gâté de toutes les muses, romancier, peintre et musicien, botaniste, entomologiste, mécanicien, chimiste et quelque peu sorcier ! c’est au milieu des scènes fugitives de ta vie d’artiste, en proie aux luttes cruelles et burlesques où l’amour du beau et le sentiment d’un idéal sublime t’entraînèrent, aux prises avec l’insensibilité ou le mauvais goût de la vie bourgeoise, c’est en jurant contre ceux-ci et en te prosternant devant ceux-là que tu sentis la vie, tantôt délirante de joies et tantôt dévorée d’ennuis, le plus souvent bouffonne, grâce à ton courage, à ta philosophie, et, faut-il le dire, à ton intempérance.

Mais adieu, mon vieil ami ; c’est assez divaguer pour une quinzaine. Je vous quitte et pars pour Genève.

Amitiés tendres, terribles poignées de mains à nos amis de Paris.