Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/330

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

out ce qui est de mode, et de mode littéraire surtout, m’inspire une grande méfiance. Notre pauvre génération a la vue si courte que, par la pensée, elle vit comme par la chair, tout entière dans le temps présent ; elle juge de l’homme de tous les temps par l’homme malade d’aujourd’hui ; elle tranche sur tout, et décide que l’esclavage est la condition naturelle de l’humanité, l’indifférence son éternelle disposition, la faiblesse et l’égoïsme son inévitable organisation, son infirmité nécessaire. Elle ne croit plus ni aux grands hommes ni aux grandes choses, et la raison en est simple.

Pour ceux qui ont arrangé leur vie de manière à rester en dehors des graves puérilités et des pédantesques tracasseries dont se nourrissent aujourd’hui les intelligences, il y a encore bien de l’admiration pour le passé, et à cause de cela bien de l’indulgence pour le présent : car, en voyant ce qui fut hier, on sait ce qui pourrait être demain ; et l’heure qui passe, le siècle où l’on vit, ne prouvent aucune vérité absolue sur le progrès ou la dégénérescence de l’homme.

Les hommes d’actualité (comme on dit maintenant), voyant les temples calvinistes aussi dépeuplés que les temples catholiques, et les protestants faire de leur croyance aussi bon marché que nous de la nôtre, en ont inféré que la réforme avait été, dès sa naissance, la plus plate idée du monde, et la forme religieuse de cette idée la plus pauvre et la plus aride de toutes les formes. Par une réaction fort étrange et que le caprice de la mode peut seul expliquer (car du temps de Benjamin Constant, temps qui n’est pas très-reculé, il y avait de toutes parts éloges et sympathies pour la réforme, aversion et déchaînement contre le catholicisme), toute la génération écrivante et déclamante se rejette dans le sein d’une orthodoxie de fraîche date, singulièrement amalgamée à un incurable athéisme et à de magnifiques dédains pour le christianisme pratique. Des hommes littéraires fort doux, et pénétrés d’horreur pour les sauvages expiations de 93, en sont venus, à ce qu’on m’a