Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/54

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arbres, des vastes prairies, des libres torrents et des plantes sauvages que je vois maintenant, je voyais alors un jardin régulier, des gazons taillés, des buissons de fleurs à la portée de mon bras, des jets d’eau parfumée dans des bassins d’argent, et surtout des roses bleues dans des vases de la Chine. Je ne sais pourquoi les roses bleues me semblaient les fleurs les plus surprenantes et les plus désirables. Du reste, mon rêve ressemblait aux contes de fées dont j’avais déjà la tête nourrie, mais aux souvenirs desquels je mêlais toujours un peu du mien. Maintenant il ressemble à la terre libre et vierge que je vais cherchant, et que je peuple d’affections saintes et de bonheur impossible.

Eh bien ! il m’est arrivé, l’autre soir, de me trouver en réalité dans une situation qui ressemblait un peu à mon rêve, mais qui n’a pas fini de même.

J’étais au jardin public vers le coucher du soleil. Il y avait, comme à l’ordinaire, très-peu de promeneurs. Les Vénitiennes élégantes craignent le chaud et n’oseraient sortir en plein jour, mais en revanche elles craignent le froid et ne se hasardent guère dehors la nuit. Il y a trois ou quatre jours faits exprès pour elles dans chaque saison, où elles font lever la couverture de la gondole ; mais elles mettent rarement les pieds à terre. C’est une espèce à part, si molle et si délicate qu’un rayon de soleil ternit leur beauté, et qu’un souffle de la brise expose leur vie. Les hommes civilisés cherchent de préférence les lieux où ils peuvent rencontrer le beau sexe, le théâtre, les conversazioni, les cafés et l’enceinte abritée de la Piazzetta à sept heures du soir. Il ne reste donc aux jardins que quelques vieillards grognons, quelques fumeurs stupides et quelques bilieux mélancoliques. Tu me classeras dans laquelle des trois espèces il te plaira.

Peu à peu je me trouvai seul, et l’élégant café qui s’avance sur les lagunes éteignait ses bougies plantées dans des iris et dans des algues de cristal de Murano. Tu as vu ce jardin bien humide et bien triste la dernière fois ! Moi, je n’y allais