Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/62

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passionner, et qui ressemble à une odalisque paresseuse qui lève peu à peu son voile et finit par le jeter pour s’élancer blanche et nue dans son bain parfumé ; ou plutôt à un sylphe qui dort dans la brume embaumée du crépuscule, et qui déploie peu à peu ses ailes pour monter avec le soleil dans un ciel embrasé. Chante, Beppa, chante, et éloigne-toi. Dis à tes amis d’agiter les rames comme les ailes d’un oiseau des mers, et de t’emporter dans ta gondole comme une blanche Léda sur le dos brun d’un cygne sauvage… Va, romanesque fille, passe et chante ; mais sache que la brise soulève les plis de ta mantille de dentelle noire, et que cette rose, mystérieusement cachée dans tes cheveux par la main de ton amant, va s’effeuiller si tu n’y prends garde. Ainsi s’envole l’amour, Beppa, quand on le croit bien gardé dans le cœur de celui qu’on aime. — Adieu, maussade, me cria-t-elle ; je te fais le plaisir de te quitter ; mais, pour te punir, je chanterai en dialecte, et tu n’y comprendras rien. — Je souris de cette prétention de Beppa d’ériger son patois en langue inintelligible à des oreilles françaises. J’écoutai la barcarolle, qui vraiment était écrite dans les plus doux mots de ce gentil parler vénitien, fait, à ce qu’il me semble, pour la bouche des enfants.

Coi pensieri malinconici
No te star a tormentar.
Vien con mi, montemo in gondola,
Andremo in mezo al mar.
 
Pasaremo i porti e l’isole
Che contorna la cità :
El sol more senza nuvole
E la luna nascarà.

. . . . . . . . . .


Co, spandemlo el lume palido
Sera l’aqua inarzentada,
La se specia e la se cocola
Como dona inamorada.