Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/135

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J’avais alors seize ans. Je n’étais pas fâchée d’entrer au couvent. Puisque je n’avais plus ma pauvre mère, le seul être que j’eusse pu aimer, je ne regrettais certes pas le vilain séjour de Panticosa et la société de la concubine de mon père. Je ne demandais pas mieux que de m’instruire et je ne me croyais pas plus sotte qu’une autre : mais c’était bien tard pour commencer et je n’appris que ce que mes compagnes m’enseignèrent par leur exemple, l’art de se coiffer avec la mantille, de jouer des yeux et de l’éventail, de chuchoter des commérages, de penser à la coquetterie et de deviser sur l’amour avant même de savoir ce que c’est que l’amour. Nos religieuses, ne sachant rien, ne nous apprenaient rien.

» Je raconterai vite pour ne pas vous impatienter. Deux ans se passèrent ainsi. Je deviens jolie, on me regarde dans la rue quand nous allons en promenade ; on me remarque, on parle de moi dans la ville, on me fait tenir des billets doux. Je deviens fière, mais je n’aime personne. Je montre les billets à mes compagnes, j’en ris avec elles, j’en ris toute la journée, et la nuit j’y pense trop. Mes soupirants me paraissent laids ou ridicules. J’en rêve un charmant et je ne me demande pas ce que je ferai, si je le rencontre. Ce désir devient si ardent, que toute réflexion m’est enlevée.