Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/114

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côtelette d’un air féroce ; il ne touche à son verre qu’après l’avoir regardé d’un œil menaçant, et, si son fromage se permettait de lui résister, il lui passerait son sabre au travers du corps. Son œil rond lance des éclairs sur les paltoquets qui se permettent d’avoir une opinion quelconque avant qu’il ait émis la sienne. Il a avec le vieux Turdy le ton bref et rogue d’un caporal parlant à un conscrit. Sa voix rauque a la prétention d’être tonnante, et les vieux domestiques de son beau-père prennent devant lui des poses de volaille effarouchée. Mademoiselle Lucie n’a pourtant pas l’air de le craindre, et le grand-père, qui ne manque pas de malice, le traite poliment de crétin sans qu’il s’en aperçoive. Il se pourrait bien que ce pourfendeur au service de toutes les causes gagnées fût dans son intérieur le plus doux et le meilleur des hommes.

Émile l’a trouvé insupportable ; mais il a fait bonne contenance, et j’ai admiré le courage qu’il a eu de ne pas le railler ; je m’en suis abstenu aussi dans la crainte de brouiller les cartes : aussi nous avons tous bâillé à nous décrocher la mâchoire.

Ceci n’est encore que plaisant, mais je crains que ce guerrier à courtes vues n’apporte de nouveaux embarras à la situation. Il nous a déjà fait entendre clairement qu’il fallait de la religion, et qu’une famille impie ne pouvait prospérer. Émile, qui a du sang-froid et qui se pique d’être plus religieux que les dévots, lui a répondu gravement qu’il était de son avis : le grand La Quintinie a paru flatté de cette adhésion ; mais gare l’interrogatoire en détail ! Je doute qu’Émile soutienne l’assaut sans que la bombe éclate.

Répondez deux lignes paternelles, cher monsieur, à l’offre très-sérieuse qui fait le fond de cette lettre absurde, et croyez-moi très-sérieusement votre serviteur dévoué sans réserve.

Henri Valmare.