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IX.


ÉMILE LEMONTIER À SON PÈRE.


Aix, 8 juin 1861.

Henri m’a promis de t’écrire ce soir et de te faire, comme il l’entend, le portrait d’un certain général que, pour ma part, j’ai trouvé plus fâcheux que divertissant. Ce qu’il t’importe de savoir c’est dans quelles dispositions j’ai retrouvé Lucie. Ah ! mon père ! Lucie, est bien bonne, elle est adorable, et, que je sois un jour, le plus heureux, ou le plus malheureux des hommes, je l’aime avec idolâtrie. Je l’ai trouvée pâle, fatiguée, et pourtant plus active que de coutume, agitée presque à mon arrivée, comme si elle m’eût attendu avec impatience. Elle m’a serré la main à la dérobée tout en embrassant madame Marsanne et Élise, dont les voltigeants atours nous dérobaient un instant à la vue du général, et il me semble qu’il y avait dans ce serrement de main une tendresse réelle. Elle m’a présenté ensuite à son père en lui disant d’un ton confiant et décidé :

« Voici M. Lemontier dont je vous parlais tout à l’heure. »

Puis elle m’a interrogé sur ma maladie, sur mon voyage à Lyon et sur toi avec une sollicitude non équivoque et des regards inquiets et attendris qui m’ont rafraîchi et ranimé jusqu’au fond du cœur ; mais ce qui m’a rendu fou de bonheur, c’est qu’elle a chanté pour moi, oui, pour moi seul. Son père l’avait priée de chanter, et elle se disait un peu souffrante. J’ai dit que j’allais me retirer, et que sans doute elle chanterait pour son père ;