Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/142

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moins que vous n’assimiliez l’amour à tous les autres appétits matériels. Et pourtant ces appétits, l’homme, toujours avide de raffinements, les aiguise avec recherche. Il épure et assaisonne la nourriture de son corps. Il met son sommeil à l’abri du froid, du chaud ou du trouble ; ses yeux se détournent de ce qui les choque, et ainsi de toutes les fonctions de son existence. Quoi ! l’amour seul resterait brutal, et la plus divine, la plus providentielle de nos aspirations ne serait pas ennoblie par l’effort de notre raison et les ivresses de notre pensée ! Non, je n’admets pas, je n’admettrai jamais ce partage de l’esprit et de la matière dans un acte de la vie où Dieu intervient si miraculeusement. De tout ce dont l’homme a abusé, c’est certainement l’amour qu’il a le plus perverti et méconnu, puisqu’il en a fait la source de tous les maux et de tous les délires, et ceci, permettez-moi de vous le dire, est l’œuvre funeste du christianisme mal entendu.

Lui. — Le christianisme ne condamne que l’excès des passions ; il les autorise et les vivifie dans ce qu’elles ont de légitime et de respectable. Tel est son esprit et sa lettre même. Ce n’est donc trahir ni la lettre ni l’esprit que d’imposer une barrière à ces trop brûlantes aspirations des sens qui essayent de se donner le change en s’offrant à Dieu comme divines. Rien de ce qui n’est pas Dieu seul n’est divin dans l’homme, et vous ne pouvez lui offrir comme un encens digne de lui aucune des satisfactions de votre être matériel.

Moi. — Alors vous tranchez résolûment dès cette vie le lien qui unit l’âme à la vitalité ? Vous n’admettez que des passions spirituelles, et, comme vous ne pouvez aimer l’âme de la femme sans aimer aussi son corps, vous la repoussez de votre cœur, vous la proscrivez corps et âme du sanctuaire de vos affections ?

Lui. — Je n’agis point ainsi. Je ne me suis pas habitué