Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/143

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comme vous à révérer cette indissolubilité prétendue de l’esprit et de la matière. Ma pensée sépare facilement ces deux termes que vous confondez sous le nom d’être. Je puis aimer l’âme d’une femme et mépriser ce que vous appelez la femme dans votre langue philosophique ou physiologique. Il peut convenir à mon âge, à ma situation, à mes principes ou à mes instincts sérieux, de vivre sans femme, et pourtant de consacrer une partie de ma vie au bonheur et à l’honneur d’une femme. Vous voyez que je ne bannis les femmes ni du sanctuaire de mes affections ni du domaine de mon respect.

Moi. — Vous faites ici la peinture de l’amitié ; mais vous proscrivez l’amour, je le répète. L’amour est un, et toute union veut l’unité.

Lui. — Je vois bien que je ne me trompais pas sur le compte de cet amour que vous exaltez si haut. Il n’est que le résultat des tempêtes de votre jeunesse. J’ignore si vous êtes marié ; mais j’ose dire que votre compagne présente ou future cessera de vous inspirer l’amour, si la maladie, quelque infirmité, une vieillesse prématurée vient à briser le lien matériel de votre union.

Moi. — Je vous jure qu’il n’en sera pas ainsi. Ce lien matériel, à l’état de souvenir ou d’espérance, n’aura rien perdu de sa force et de sa dignité. Et si de tels accidents doivent traverser la jeunesse de deux époux, bien leur aura pris de n’avoir pas marchandé le prix de leur tendresse devant Dieu. Cet enthousiasme mutuel, que vous assimilez à une sorte d’idolâtrie, sera leur consolation et leur dédommagement. Dieu bénira cette tendresse en la rendant tout à fait pure, comme vous l’entendez, et le bonheur qu’il eût refusé à un divorce volontaire entre le corps et l’âme, il l’accordera encore à l’âme qui accepte et poursuit sa mission.

Nous fûmes interrompus par le bruit de la cascade.