Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/191

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que quelqu’un a agi sur son esprit tout récemment. Aux premières ouvertures de la famille, il s’était montré beaucoup plus coulant, et moi, maintenant, je crois savoir contre qui la lutte est engagée.

Nous étions au salon vers deux heures et le grand-père commençait sa sieste, lorsque le général est brusquement rentré en présentant un personnage qu’il a qualifié d’ami à lui. J’ai vu une grande surprise et une singulière émotion sur le visage de Lucie, et je n’ai pas été moins surpris moi-même en reconnaissant dans la personne ainsi présentée mon compagnon de promenade à la cascade Jacob. Il n’a point paru, lui, s’étonner de me voir là, et il m’a parlé sur-le-champ avec une bienveillance aisée et avec le même charme, la même élégance qui m’avaient déjà frappé. Cet homme a quelque chose de très-séduisant ; il a plu tout de suite à Henri. Le grand-père, ne se doutant pas qu’il eût en présence un ardent catholique, tant le personnage mettait d’adresse à éviter le choc, l’a traité avec son aménité ordinaire ; Lucie seule était timide ou réservée.

J’ai saisi le premier moment où j’ai pu échanger, sans être aperçu, quelques mots avec elle pour lui demander si elle le connaissait.

« C’est, m’a-t-elle répondu, M. Moreali, que ma tante a reçu dernièrement à Chambéry ?

— N’est-ce pas lui qui est entré aux Carmélites, le jour où vous chantiez ?

— Oui, précisément.

— Et c’est l’ami de votre père ?

— Je n’en savais rien.

— Comment était-il entré dans ce couvent cloîtré ? En vertu de quel droit ?

— Je ne le sais pas non plus ; mais vous, vous le connaissez donc ? »