Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/219

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essence, cette beauté suprême !… Mais je ne veux pas devenir fou ! Je me tais comme je me suis tu devant elle, car je n’ai pas osé lui parler d’amour. Elle me montrait tant de confiance, et je sentais si bien que je devais attendre, pour lui faire partager les transports de mon cœur, qu’elle eût fait la liberté autour d’elle !

Nous sommes restés ensemble sur ce banc, où Misie nous a apporté du lait et des œufs frais, en attendant le déjeuner. Nous n’avons pas songé à faire un pas de promenade, nous avons parlé, parlé toujours avec ivresse ; de nous, de toi, de tout et de rien, de l’oiseau qui passait, du grand-père, qui était si bon de dormir longtemps, de Lucette, que nous avons tant aimée ! de la neige, qui est si belle là-bas sur les Alpes, des fraxinelles, qui sentent si bon dans le jardin, des nuages roses, qui se mirent dans le lac, du matin, qui est une heure si riante, de la vie, qui est une si noble fête !… De Moreali, pas un mot. Le croirais-tu ? Oui, tu le croiras bien, nous l’avons oublié. Que m’importent cet homme et son influence sur le passé de Lucie ? Je me rappelle à présent que, sans le nommer, elle m’avait déjà parlé de lui. Quant à son influence sur le général, nous verrons bien s’il s’en sert pour ou contre nous ! Est-ce un ennemi ? Se vengera-t-il de la désobéissance de Lucie ? Ah ! qu’il me crée toutes les luttes dont l’esprit humain est capable, qu’il entasse toutes les montagnes de l’Atlas entre Lucie et moi, je me sens de force à tout renverser. Lucie déteste le mensonge, elle n’aime de sa religion que ce que j’en peux aimer ; le reste, Dieu le fera retomber en poussière sous les pas de la volonté et le dissipera sous le souffle de l’amour !

Le grand-père s’est levé à dix heures. Nous avons été l’embrasser. Lucie lui a dit, avec un beau rire tendre, que nous étions d’accord sur bien des points. Il nous a bénis, il a marié nos cœurs dans ses bras tremblants.