Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Quintinie, et peut-être au fond penses-tu toujours à mademoiselle Marsanne ?

— Dis-moi, lui répondis-je, que tu es amoureux d’Élise, et laissons l’autre tranquille. Pauvre jeune fille, si riante et si heureuse, qu’a-t-elle fait d’excentrique ou de hasardé aujourd’hui, pour que deux écoliers en vacances se permettent d’épier le premier battement de son cœur et de disposer de sa vie dans leurs rêves ? »

Henri se prit à rire, et puis tout d’un coup il me développa d’un ton fort sérieux, et pour la première fois, ses théories sur l’amour et le mariage.

« Mon cher ami, dit-il, libre à toi de te prendre pour un écolier ; mais, moi, je sens que je suis un homme, et un homme de mon temps, qui plus est. À vingt-cinq ans, j’en ai, à beaucoup d’égards, cinquante. Tu ne m’en fais pas ton compliment, je le sais, je t’en dispense. Je n’ai pas la prétention de te servir de modèle, et je ne me permets pas de vouloir rien déranger au système d’éducation que ton père t’a appliqué. Je suis ce qu’on m’a fait, ce que le monde d’aujourd’hui fait de tous les jeunes gens qui ne se présentent pas à lui armés de toutes pièces par la déesse Minerve, et cuirassés de théories plus ou moins transcendantes. Je ne suis pas venu au monde, comme toi, avec une fortune bien établie. Mon père a mangé gaiement la sienne sans trop songer à mon avenir, c’était son droit. Il m’a procuré un emploi assez lucratif dans un ministère. Je suis un homme occupé, moi, et je n’en suis pas plus fier ; car mon occupation ne sert absolument à rien et ne me prend pas une parcelle de mon intelligence, de mon cœur ou de ma volonté. Je suis un privilégié qui ne feint même pas de travailler, vu qu’il est fier et méprise l’hypocrisie, un être complètement inutile à la société, et qui ne se soucie pas plus d’elle qu’elle ne se soucie de lui. Mon père s’est servi d’une