Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/358

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courses pédestres, vénéré des paysans pour son vagabondage athlétique dans un âge qui paraissait si avancé, pour ses allures mystérieuses et pour ses discours dans une langue qu’ils ne comprenaient pas. Ils l’écoutaient quand même avec admiration, et sa pantomime saisissante les édifiait en même temps qu’elle les amusait. Elle faisait peur aux femmes, grande condition de succès.

À Chambéry, le moine essaya de prêcher. Quelques auditeurs le comprirent, s’étonnèrent de son énergie, et en firent part à tous ceux de la ville qui étaient Italiens d’origine ou qui comprenaient la langue de la frontière. On se réunit au jour marqué pour une seconde conférence. Le bruit en vint à mademoiselle de Turdy, chez qui Lucie se trouvait en visite avec son grand-père et le père d’Émile. Celui-ci proposa d’aller entendre le saint. Lucie refusa d’abord, mais M. Lemontier insista.

« Je vous prêche depuis longtemps mes idées, lui dit-il, et qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son. Ne faut-il pas pouvoir dire à votre père que vous avez prêté les deux oreilles avec une égale attention ? Je regrette que M. Moreali ait disparu, et qu’il ne prêche point ici à la place du capucin. »

On se rendit à l’église, où le père Onorio parla comme il savait parler, quand il était sous l’influence d’une pensée naïvement chrétienne. Il fut un peu puéril, mais fort touchant en décrivant les attributs de la vertu évangélique. Il achevait son sermon, lorsqu’il s’arrêta au milieu d’une phrase, comme si une vision eût passé devant ses yeux. Il se pencha sur le bord de la chaire et regarda un coin sombre vers lequel tous les regards se portèrent instinctivement, mais où l’on ne remarqua rien ni personne qui pût l’avoir choqué ou surpris. L’attention se reporta sur lui. Sa figure avait pris une expression terrifiante, ses lèvres tremblaient, ses yeux lançaient des