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Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/42

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Lucie vit mon air éperdu. Je crois que je rougissais comme un enfant. Elle fut très-gaie, et d’une gaieté dont il était impossible de se piquer ; car cet accent de bonté qui est en elle, ce ton de bonhomie presque fraternelle dès le premier abord, est une séduction dont je ne puis te donner l’idée. Elle prétendit que j’étais en proie au vertige des pythonisses, que je regardais la fenêtre, et elle courut la fermer, assurant que j’avais le projet de m’envoler pour soustraire le secret des dieux à la vaine curiosité des mortels. Quand j’eus ri et plaisanté à mon tour, j’espérai en être quitte ; mais Henri, qui voulait absolument me faire briller, y revint, et Lucie insista. Je pris mon parti alors avec la témérité que soulève en moi la moindre apparence de persécution. C’est de mon âge, et c’était mon droit. Je veux tâcher de me bien rappeler ce que j’ai dit ce jour-là ; car, dès ce jour-là, j’ai brûlé mes vaisseaux et compromis sans retour mon rêve d’amour et de bonheur.

J’ai dit que les oracles n’étaient pas responsables de leurs arrêts, qu’ils étaient la proie toute passive d’une vérité infernale ou céleste agissant en dehors d’eux et malgré eux. Là-dessus, j’ai déclaré que je ne voyais pas matière à prononcer, parce que je ne me trouvais aux prises en ce moment avec aucune foi réelle. M. de Turdy, en accordant à sa petite-fille le droit de croire au Dieu personnel, cessait d’être l’incrédule qu’il avait la prétention d’être. Mademoiselle La Quintinie, en respectant l’incrédulité de son grand-père, abandonnait les voies de l’orthodoxie. Il n’y avait plus de doctrine dès qu’il y avait transaction. L’oracle, voyant des idées aussi confuses troubler son atmosphère, demandait à descendre du trépied et à garder ses inspirations pour lui-même.

« C’est-à-dire, répondit mademoiselle La Quintinie, que vous accaparez pour vous tout seul la vérité su-