Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/106

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vail, des infirmes sans nourriture, des vieillards sans soutien, des orphelins sans appui et des jeunes gens sans une certaine instruction. Comment eût-on pu se passer d’elle ? Si elle eût quitté volontairement le pays, on l’eût blâmée, peut-être maudite, peut-être haïe. Cette affection, basée sur l’intérêt personnel, faisait-elle illusion à l’esprit clairvoyant de Célie ? Non, je l’ai su plus tard, elle ne s’y méprenait pas : elle savait seulement que la reconnaissance de ces égoïstes était passionnée, et je dois dire que je n’en ai jamais vu de semblable ailleurs pour personne.

Quand j’eus suffisamment pris langue parmi ces braves gens, je fus sans peine initié aux détails de l’audience. Dans le principe, et surtout du temps de l’amiral, on allait y réclamer justice ou protection contre les agents de l’autorité : — M. Merquem était un farouche républicain qui ne tolérait pas la moindre vexation ; — ou bien on s’y plaignait les uns des autres et on lui demandait conseil pour plaider. Naturellement, le bon seigneur égalitaire ne permettait ni les procès ni les batailles. Il arrangeait tout, réconciliait les pires ennemis, et mettait du sien, quand il le fallait, pour consoler la partie lésée par le droit. Il avait gouverné si sagement et si paternellement cette petite commune, qu’il en avait fait un échantillon modèle à sa manière. Il n’avait voulu dénaturer ni le sol ni l’homme, et s’était refusé à introduire des ressources différentes de celles qui avaient jusque-là suffi à cette population. Il s’était borné à développer et à assurer la spécialité locale. La mer devait nourrir ses riverains, et l’homme de mer ne devait pas quitter sa nourrice. Les enfants devaient suivre la carrière de leurs pères, profiter de leurs leçons et vivre de leur