Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Elle s’était imaginé que la raison peut parler à l’ivresse ; elle avait oublié que l’ivresse n’a pas d’oreilles, et que le moindre bourdonnement de violons emporte les paroles maternelles les plus tendres et les plus sensées. Le siècle était venu chercher sa proie et l’avait saisie aussi facilement, dans ce petit intérieur modeste et digne, que si elle l’eût trouvée sur la place publique. Le démon était entré dans la chambre de la jeune fille sous la forme de la couturière, sous celle de la coiffeuse, sous celle de la maîtresse de piano, sous celle de la jeune amie sortant de pension, sous celle du journal des modes emprunté à la tailleuse, sous celle de l’entre-filet de journal consacré à la description des fêtes de telle ou de telle duchesse ou marquise.

On ne peut pas élever une fille dans une cage. Il faut bien qu’elle vive, qu’elle voie, qu’elle entende et qu’elle respire. Où la mènera-t-on promener, à Paris, si ce n’est au soleil ou au milieu des arbres ? C’est là justement que le Paris élégant et folâtre aime à se montrer ; c’est là que passe, dans le plus fringant équipage et dans la plus merveilleuse toilette, la femme équivoque dont cette enfant ne voit que les ailes de papillon, et ne saurait soupçonner la momification morale ; c’est là que les hommes bien mis et bien montés l’emportent sur toutes les espèces inférieures, et que la qualité d’honnête homme n’est rien auprès de celle d’homme bien ganté et bien chaussé. Quelle plaisante chose ! la jeune fille qui voit passer ces légers cavaliers rêve de les voir caracoler à la portière de sa voiture". Elle n’en aime aucun, mais tous lui plaisent. Elle ne pressent aucun danger dans l’émotion qu’ils lui causent. Elle s’en amuse, elle