Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/187

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jusqu’à ce que, retombant sur mes flancs, mes mains engourdies me fissent l’effet de membres morts qui ne m’appartenaient pas.

Je n’avais pas prévu que je souffrirais de la sorte. Je m’étais vanté à moi-même d’accepter toutes les éventualités de la mystérieuse existence de Célie : je m’étais donc menti ? Je ne l’aimais donc pas encore lorsque j’avais cru pouvoir prendre cette résolution stoïque, ou bien je n’étais pas l’homme sain de jugement et ferme de caractère que j’avais cru être ? Peut-être encore ne l’avais-je pas réellement aimée : ma vanité d’homme, mon tempérament d’homme difficile et délicat, avaient-ils seuls été en jeu ? m’étais-je laissé éblouir par la difficulté d’une conquête réputée impossible ? Ne me restait-il plus, de mes sublimes énergies, que la rage de l’orgueil déçu ?

Le jour venu, je m’habillai sans bruit et sortis dans les champs. Je n’oubliai pas mon chien et mon fusil, afin qu’on pût dire à ma tante que j’étais allé à la chasse de bonne heure comme les autres jours. Je n’eus pas fait cent pas, que je vis Stéphen sur la route. J’eus l’idée de le fuir, de me cacher ; mais il m’avait vu, et venait vers moi à travers les sillons.

— Diable ! me dit-il en me regardant de près ; ça ne va pas ! vous êtes jaune de chrome, ce matin !…

Il souleva ma casquette pour voir mon front.

— Pas d’enflure, ajouta-t-il, pas d’inflammation. C’est un mouvement de bile, la colère que vous a causée cet animal venimeux ; le sang-froid d’abord, la réaction ensuite. Je connais ça. Prenez de l’exercice, et puis, tenez ! une nouvelle qui, dans l’état de votre plafond, vous fera du bien : M. le marquis est arrêté. Oui, d’honneur, à peine arrivé en poste à la