Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/236

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relever et réchauffer en moi, comme si j’avais tout à coup découvert ma raison d’être. Je m’apparais à moi-même dans le passé comme une ébauche de ce que je suis dans le présent. J’ai traversé des amas de nuages qui se reformaient toujours devant mes pas ; aujourd’hui, je marche en pleine lumière, et c’est bien moi. Je ne rêve plus. Mon cœur bat vite et fort. Tout est riant et coloré autour de moi, je comprends le sens d’un mot qui ne m’avait semblé avoir qu’une valeur relative : être heureux ! Oui, c’est être heureux que de vivre dans deux âmes à la fois ; autant dire avoir deux âmes ; c’est la vraie définition de l’amour, n’est-ce pas ? c’est le complément de la vie, c’est son apogée ; c’est végéter que d’être seul. Comment ai-je fait pour vivre ainsi ? Je n’y conçois rien. Est-ce que dix mille ans ne se sont pas écoulés depuis vingt-quatre heures ? Je ne me souviens plus de moi, c’est comme si j’avais franchi le seuil d’un monde pour entrer dans un autre. Peut-être que votre enfant m’a tuée pendant que je dormais, et que, grâce à lui, je me réveille dans l’immortalité. Quel bienfait ! comme il a eu raison d’avoir ce courage ! Je le sens, l’amour ne peut pas être égoïste : c’est la reconnaissance infinie… Mais ne vous hâtez pas, laissez-lui le temps de tout savoir. L’obstacle existe, plus sérieux qu’il ne pense. Il faudra qu’il m’aide à le rompre. Comment ? Je ne sais pas, je n’ai pas encore eu le courage d’y songer. Laissons passer quelque temps. Laissez-le douter de moi ; il a peut-être besoin de douter pour bien connaître la force de ses résolutions. C’est une épreuve à laquelle je ne dois pas avoir l’orgueil de me soustraire, et c’est un droit que je lui reconnais. Quand il m’aimera, même avec la crainte que je ne