Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/302

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l’âge, qu’une femme comme elle avait le droit de traiter comme son frère ? Elle ne s’étonnait plus de voir Montroger exclu de son intimité.

— C’est un homme faible, disait-elle, il ne sait pas dominer son chagrin. Il perd la tête, j’ai vu ça. J’ai eu grand tort de m’y laisser prendre. Il eût été très-gênant ici, et on fera bien de le tenir à distance jusqu’à ce que notre chère malade soit tout à fait rétablie.

Elle revenait trop souvent à ces réflexions d’une condescendance gratuite devant sa mère pour que celle-ci n’en fît pas la remarque.

— Erneste devine tout, me dit-elle en confidence ; elle affecte trop de ne rien pressentir, elle nous cache quelque chose : tâche donc de l’observer…

C’était mon devoir, j’observai. La petite rusée semblait se plaire beaucoup à la Canielle malgré le calme et le silence que nous faisions autour de Célie : elle s’y montrait charmante, attentive, doucement enjouée, studieuse même contrairement à ses habitudes, et particulièrement éprise du vieux parc, où elle passait des heures à lire dans le chalet. Le soir, dans les brumes tièdes d’octobre, elle s’enveloppait de sa mantille et se plaisait à courir comme une ombre légère, du parterre qui environnait la maison au donjon qui dominait la falaise. Elle revenait vite sur ses pas, nous parlait en riant par la fenêtre du salon, et retournait faire ce qu’elle appelait son ascension ; elle répétait plusieurs fois cette gymnastique. Sa beauté et sa santé charmaient Célie, et ma tante en était fière. Moi, je remarquais que chaque disparition du joli fantôme se prolongeait plus que de raison, et que chaque réapparition sur la terrasse ressemblait à une