Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/35

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curieux de notre petit monde, ce garçon-là ! Figurez-vous un héros de roman accompli, un Saint-Preux, un Grandisson. Mademoiselle Merquem ne remue pas un doigt, qu’il ne tremble de la tête aux pieds ; elle ne le regarde pas, qu’il ne soit prêt à se trouver mal. Cela dure depuis une quinzaine d’années et ne fait que croître et embellir. Ce serait ridicule, si ce n’était touchant, car, au bout du compte, c’est la meilleure nature d’homme qui existe, et cet amour le rend très-malheureux. Nous nous sommes tous employés ici pour lui faire épouser notre grande amie ; il n’y a pas eu moyen. Elle nous répond qu’elle l’estime, qu’elle a beaucoup d’amitié pour lui, mais qu’elle est incapable de répondre à son amour et qu’elle ne veut pas se marier.

— Donne-t-elle de bonnes raisons à cette aversion pour le mariage ?

— Elle n’en donne pas, car il n’y en pas. Est-ce que vous comprenez une femme sans amour et sans famille ? Elle a tort, il n’y a pas à dire. Elle le sait, elle en convient, et elle persiste. Enfin c’est une exception, une anomalie, un défi jeté à la nature et à la société. Vous pensez bien qu’on a épuisé le chapitre des suppositions folles, malveillantes ou bizarres. Tout cela tombe à terre devant le caractère d’une personne qui ne fait que le bien, et qui paraît même ignorer la possibilité de faire le mal. S’il y avait eu dans sa vie quelque accident fâcheux ou romanesque, on le saurait, allez ! En province, on ne cache pas dix ans un secret. Je la connais depuis son enfance ; il n’y a rien, absolument rien ! Elle n’est ni triste, ni malade, ni excentrique à tous autres égards. On l’aime ; elle est si parfaitement aimable ! On lui pardonnerait à pré-