Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/54

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prévaudrais jamais de la douloureuse situation qui lui était faite. Ce qu’elle ne savait peut-être pas, c’est qu’en dépit d’un découragement absolu, j’étais plus épris d’elle que je ne l’avais jamais été.

» Il me restait pour la sauver un rude parti à prendre, et je le pris. Je brûlai mes vaisseaux. Je fis à l’amiral et à ma mère une fausse confidence. Je prétendis être amoureux d’une autre personne, et j’inventai un roman mal bâti, invraisemblable, dont ma mère ne fut pas dupe, mais dont se paya le pauvre amiral. Célie désirait tant y croire, qu’elle y crut aussi. Le malade s’apaisa un instant ; mais son mal empirait, et, comme il arrive quelquefois dans les maladies mortelles, ce fut la personne qu’il chérissait le plus et qui lui témoignait le plus sublime dévouement qu’il méconnut et maltraita jusqu’à son dernier jour d’une manière insensée. Par suite d’un de ces caprices de moribond qui ne s’expliquent pas, il me prit en passion, ne voulut plus être soigné, soulevé de son lit et promené dans son fauteuil que par moi. Un jour, il parla de déshériter sa petite-fille pour me léguer sa fortune. Le pauvre malheureux devenait fou.

» Il s’éteignit dans nos bras. En recevant son dernier soupir, Célie tomba comme morte elle-même ; elle était épuisée de douleur et de fatigue. Ce qu’elle avait souffert durant six mois en se voyant si cruellement traitée par celui dont elle avait été l’idole était au-dessus de ses forces. C’était le perdre deux fois. Elle eut pourtant le courage de l’ensevelir elle-même et de veiller à tous les devoirs de la circonstance. Quand ce fut fini, j allai prendre congé d’elle. Elle tomba presque à mes pieds, prit mes deux mains, et, les couvrant de larmes :