Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/60

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malédictions contre mon cheval, qui m’avait fait prendre ce chemin-là. C’était le plus court ; mais, quand j’étais de sang-froid, j’évitais de revoir cette demeure où j’avais laissé le repos et la dignité de ma vie.

» Tout à coup, comme j’allais dépasser une petite grille latérale de l’enclos, je vis une ombre s’en détacher et venir à moi. La nuit était grise et trouble, mais je reconnus tout de suite mademoiselle Merquem, et je voulus continuer ma course. Elle se plaça devant moi, intrépide et fière, au risque de se faire écraser, et, portant la main à la bride de mon cheval :

» — Arrêtez-vous, dit-elle, j’ai à vous parler.

» Toute la fumée du vin que j’avais bu me remonta au cerveau, et je l’apostrophai avec fureur :

» — Ah ! vous voulez me parler ? Eh bien, tant mieux, car, moi aussi, j’ai quelque chose à vous dire, quelque chose de terrible, quelque chose de vrai ! Vous êtes la cause de mon malheur et de ma honte ; c’est vous qui m’avez perdu ; aussi je vous hais, et prenez garde à vous, car je suis ivre, et j’ai envie de vous tuer.

» — Taisez-vous, répondit-elle avec une tranquillité dédaigneuse ; descendez de cheval et entrez chez moi, votre mère y est.

» Cette parole me dégrisa subitement. Ma mère à la Canielle ! Comment ? pourquoi ? Elle avait juré tant de fois de n’y jamais remettre les pieds ! Je sautai à terre. Je suivis Célie dans son boudoir. Ma mère était là en effet, si pâle et si souffrante, que j’en fus effrayé.

» — C’est vous ? me dit-elle. J’en étais sûre !