Page:Sand - Malgretout.djvu/204

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elle avait beaucoup vu ma sœur, qui était là sa plus proche voisine. Le même parc les réunissait tous les jours ; elle raffolait de mon père, qu’elle définissait un Franklin artiste. Elle était charmée de madame de Rémonville ; c’était pour elle le type de la gentillesse et de la candeur. Je dus lui laisser croire que ma sœur m’avait écrit quelque chose de leur liaison, bien qu’Adda, craignant peut-être d’alarmer mon austérité, ne m’en eût pas dit un mot. Mon père était un peu comme Abel ; il n’aimait pas à écrire longuement, et par lui je n’avais jamais aucun détail. Je vis pourtant bien que mademoiselle d’Ortosa n’exagérait rien en me disant qu’elle avait beaucoup fréquenté Adda, car elle se trouvait connaître toute notre histoire et même nos relations de l’année précédente avec Abel. Elle me regarda très-fixement en prononçant ce nom et ajouta :

— Pourquoi donc n’êtes-vous pas venue nous rejoindre à Nice ? Il y était ces jours-ci. Il nous a donné deux concerts excellents, et il a même eu l’obligeance de faire de la musique chez une vieille parente à moi qui est fixée là-bas et qui m’y donne l’hospitalité.

Je sentis que je rougissais, et sans doute elle le vit, bien qu’elle eût le bon goût de ne pas paraître y prendre garde. Ses grands yeux d’un vert changeant étaient singuliers ; on ne savait s’ils étaient curieux et pénétrants, ou myopes et distraits.

— Je vous dirai, ajouta-t-elle, que M. Abel nous