Page:Sand - Malgretout.djvu/262

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père à Nice, j’aurais proclamé mon amour pour vous, j’aurais brisé ces misérables intrigues de femmes !

— Il est temps encore, Abel ! Venez dans quelques jours et demandez-moi hautement et franchement, réclamez-moi au besoin, puisque me voilà compromise deux fois par votre volonté ; mais n’exigez pas qu’il y ait de la mienne dans cet apparent oubli de ma dignité de femme. Ne me ramenez pas dans ma demeure comme une conquête avilie ; laissez-moi rentrer seule et libre ; je veux pouvoir dire à mon père que je suis toujours digne de lui et de vous.

— Partons, dit-il, partons, j’obéis !

Et il sortit impétueusement ; mais il rentra mouillé jusqu’aux os, car la pluie avait recommencé, et il avait en vain couru tout le village ; il s’était même blessé dans l’obscurité, et il avait les mains couvertes de sang. Il avait promis une fortune au cocher qui nous avait amenés. Il avait trouvé un homme incorruptible qui aimait ses chevaux pour eux-mêmes, qui craignait d’ailleurs l’averse et les mauvais chemins pour son compte, et que rien n’avait pu décider à repartir après une journée de vingt lieues.

— Voilà ! me dit Abel, partir est impossible ; mais, vous le voulez, partons ; je vous porterai jusqu’à ce que je meure.

Je le calmai, je le consolai, je ne pouvais le voir ainsi mouillé, ensanglanté, exaspéré contre lui-