bonne compagnie en suivant l’exemple que je lui donnais. Je ne veux rien incriminer auprès de vous, je suis persuadée qu’il se flatta de me tenir pour fort indifférente désormais.
» C’est ici que je vais commencer, chère miss Owen, à vous sembler fort coupable ; mais ma sincérité m’absoudra. Il ne me convenait pas de devenir indifférente, moi qui suis redoutable par calcul et par nature. Et puis, je vous l’ai dit, Abel a de l’attrait pour moi depuis qu’il m’a injuriée et presque battue. Je ne suis pas arrivée à l’âge que j’ai, à travers tous les orages d’amour soulevés par moi, sans avoir acquis le droit de connaître les plaisirs chastes de l’émotion ; l’épithète vous fait rougir ? Ma chère enfant, l’émotion de la femme qui compte se donner le jour du mariage et celle de la femme qui compte se refuser à jamais, c’est absolument la même émotion ; vous ne le croyez pas ? vous avez tort. La mienne est plus intense, plus méritoire par conséquent. La vôtre n’est qu’un pieux atermoiement, une mesure de prudence. Moi, j’aime à me promener le long des abîmes. Pour être sûre de n’y jamais tomber, il faut que je m’habitue à braver le vertige, et le vertige a des charmes ; il m’est permis de les savourer, puisque c’est l’unique récompense du sacrifice que j’ai fait de ma jeunesse et de ma beauté. On vous a donc dit la vérité quand on m’a accusée devant vous d’aimer à ravager les cœurs sans y toucher. On eut pu dire