Page:Sand - Malgretout.djvu/32

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coup de gêne pour lui, car mon père n’a jamais été riche. Notre fortune nous vient de notre mère, et, bien qu’il en eût l’usufruit, il nous la distribua bientôt, Adda étant mariée et moi majeure. Je l’eusse beaucoup blessé en me refusant à recevoir ma part. Il me fallut donc assister et contribuer à son dépouillement à peu près complet, et souffrir qu’il devint notre hôte et notre pensionnaire après avoir été notre chef de famille. Cette situation ne paraissait pas l’affecter ni l’inquiéter pour l’avenir ; mais j’en souffris pour lui, et je me demandai ce qu’il deviendrait, si j’étais mariée. Il me paraissait évident que M. de Rémonville, encore enchaîné par la reconnaissance, se ferait bientôt un petit mérite de son adhésion courtoise à toutes les idées de mon père, que peu à peu ce mérite lui semblerait une gêne, et qu’un jour viendrait où il se croirait autorisé à s’en débarrasser. Cassant et paradoxal, il trouvait mon père trop logique ou trop bienveillant. Sa patience l’impatientait, et cette sagesse, qui était une involontaire et perpétuelle critique de sa déraison, l’exaspérait intérieurement. Dès que je vis poindre ce désaccord, je me mis à réfléchir et à envisager les éventualités de la position.

Je me croyais parfaitement sûre de ne jamais aimer un homme qui n’aurait pas pour mon père un respect et une vénération à toute épreuve, et pourtant ! je pouvais être trompée. Un jour pouvait venir où mon père, exposé à déplaire sans le vouloir