Page:Sand - Malgretout.djvu/65

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pas, il se tourna vers lui, peut-être avec un mouvement de reproche ; je suivis involontairement l’effet de ce mouvement, et je vis l’artiste qui tenait son mouchoir baigné de larmes sur son visage.

C’étaient de vraies larmes, les premières que je faisais couler, et je ne comprenais rien à ce qui m’arrivait.

Abel vint à moi.

— Vous voyez, me dit-il Je ne puis vous rien dire ; vous croiriez que j’exagère : eh bien, tenez, j’ai là une voix qui exprime mieux mon émotion que toutes les paroles humaines, et je vais vous répondre comme vous m’avez parlé : en musique.

Il prit son violon, que mon père avait sournoisement apporté et posé près de lui. Il joua une heure entière sans aucun plan tracé et comme sous l’empire d’un songe plein de merveilles imprévues et d’effusions intarissables ; puis, comme épuisé d’aspirations sublimes et de manifestations ardentes, il se laissa tomber sur un sofa en disant :

— Je ne peux plus !

Les derniers sons de sa phrase inachevée vibrèrent sur l’instrument qui faillit s’échapper de ses mains. Sa figure colorée blêmit subitement, et ses yeux devinrent fixes ; nous crûmes qu’il se trouvait mal.

— Non, non, dit-il en se relevant, j’étais fatigué, cela se passe. Je vous demande la permission de me retirer.