mois entiers, il s’était exalté pour la Pasta, qu’il avait vue deux ou trois fois sur la scène, et qu’il attendait tous les soirs de représentation à l’entrée des artistes, pour la voir passer et disparaître comme une ombre. Il avait aimé aussi mademoiselle Mars ; il avait rêvé de sa voix et de son regard jusqu’à en être malade et désespéré.
Dans sa passion pour les étoiles, il avait oublié de regarder ce qui pouvait se trouver près de lui, et, quand l’occasion d’aimer raisonnablement s’était offerte, il s’était dit que la raison est le contraire de l’amour. Il avait alors reporté son enthousiasme sur les beaux spectacles de la nature autrefois savourés, et il lui avait pris des envies furieuses de revoir au moins les Alpes ou les Pyrénées ; il s’était demandé pourquoi il n’aurait pas le cynisme du bohémien, pourquoi cette sotte vanité d’avoir du linge et des habits propres, quand il était si facile de s’en aller courir le monde en guenilles et en tendant la main aux passants ? Il enviait le sort du vagabond qui va jusqu’au fond des déserts, content s’il rencontre l’hospitalité du sauvage, insouciant s’il lui faut dormir sous le ciel étoilé, heureux pourvu qu’il marche et change d’horizon tous les jours.
Et dans ces moments de dégoût absolu il s’était dit avec accablement qu’il était un homme médiocre de tous points, sans volonté, sans activité, sans conviction, incapable de ces grandes résolutions qui transforment le milieu où l’on est enfermé, un provincial déclassé, susceptible de s’enivrer au spectacle des splendeurs de la civilisation ou de la nature, mais trop craintif ou trop orgueilleux pour s’y jeter à tout risque, et redoutant jusqu’au blâme de son portier.