Page:Sand - Mauprat.djvu/166

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monde. Ce n’est pas un homme, cela. Cela sent bon comme tout un jardin ; mais j’aime mieux le moindre brin de serpolet.

— Ma foi ! je ne l’aime guère non plus, moi. Mais si ma cousine l’aime, hein ! Patience ?

— Votre cousine ne l’aime pas. Elle le croit bon, elle le croit véritable : elle se trompe et il la trompe, et il trompe tout le monde. Je le sais, moi, c’est un homme qui n’a pas de cela (et Patience posait la main sur son cœur). C’est un homme qui dit toujours : « Moi, la vertu ! moi ; les infortunés ! moi, les sages, les amis du genre humain, etc., etc. » Eh bien ! moi, Patience, je sais qu’il laisse mourir de faim de pauvres gens à la porte de son château. Je sais que, si on lui disait : « Donne ton château, mange du pain noir, donne tes terres, fais-toi soldat, et il n’y aura plus d’infortunés dans le monde, le genre humain, comme tu dis, sera sauvé, » l’homme dirait : « Merci, je suis seigneur de mes terres, et je ne suis pas soûl de mon château. » Oh ! je les connais bien, ces faux bons ! Quelle différence avec Edmée ! Vous ne savez pas cela, vous ! Vous l’aimez parce qu’elle est belle comme la marguerite des prés, et moi je l’aime parce qu’elle est bonne comme la lune qui éclaire tout le monde. C’est une fille qui donne tout ce qu’elle a, qui ne porterait pas un joyau, parce qu’avec l’or d’une bague on peut faire vivre un homme pendant un an. Et, si elle rencontre dans son chemin un petit pied d’enfant blessé, elle ôtera son soulier pour le lui donner et s’en ira pied nu. Et puis c’est un cœur qui va droit, voyez-vous. Si demain le village de Sainte-Sévère allait la trouver en masse et lui dire : « Demoiselle, c’est assez vivre dans la richesse, donnez-nous ce que vous avez, et travaillez à votre tour. — C’est juste, mes bons enfants », dirait-elle. Et gaiement elle irait mener les troupeaux aux