Page:Sand - Mauprat.djvu/17

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à notre approche. Mais, lorsqu’ils nous avaient reconnus et qu’ils s’étaient bien assurés que le spectre d’aucun de ces brigands n’était caché parmi nous, ils nous racontaient, à demi-voix, des histoires à faire dresser les cheveux sur la tête, et que je me garderai bien de vous communiquer, désolé que je suis d’en avoir noirci et endolori ma mémoire.

Ce n’est pas que le récit que j’ai à vous faire soit précisément agréable et riant. Je vous demande pardon, au contraire, de vous envoyer aujourd’hui une narration si noire ; mais, dans l’impression qu’elle m’a faite, il se mêle quelque chose de si consolant et, si j’ose m’exprimer ainsi, de si sain à l’âme, que vous m’excuserez, j’espère, en faveur des conclusions. D’ailleurs, cette histoire vient de m’être racontée ; vous en demandez une : l’occasion est trop belle pour ma paresse ou pour ma stérilité.

C’est la semaine dernière que j’ai enfin rencontré Bernard Mauprat, ce dernier de la famille, qui, ayant depuis longtemps fait divorce avec son infâme parenté, a voulu constater, par la démolition de son manoir, l’horreur que lui causaient les souvenirs de son enfance. Ce Bernard est un des hommes les plus estimés du pays ; il habite une jolie maison de campagne vers Châteauroux, en pays de plaine. Me trouvant près de chez lui, avec un de mes amis qui le connaît, j’exprimai le désir de le voir ; et mon ami, me promettant une bonne réception, m’y conduisit sur-le-champ.

Je savais en gros l’histoire remarquable de ce vieillard ; mais j’avais toujours vivement souhaité d’en connaître les détails, et surtout de les tenir de lui-même. C’était pour moi tout un problème philosophique à résoudre que cette étrange destinée. J’observai donc ses traits, ses manières et son intérieur avec un intérêt particulier.