Page:Sand - Mauprat.djvu/215

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regardant avec ardeur, est celle qui en sait assez pour ne jamais faire une question ridicule ou déplacée, et pour ne jamais tenir tête à des gens de mérite ; cette femme sait se taire, surtout avec les sots qu’elle pourrait railler et les ignorants qu’elle pourrait humilier ; elle est indulgente aux absurdités parce qu’elle ne tient pas à montrer son savoir, et elle est attentive aux bonnes choses parce qu’elle désire s’instruire. Son grand désir, c’est de comprendre et non d’enseigner ; son grand art (puisqu’il est reconnu qu’il faut de l’art dans l’échange des paroles) n’est pas de mettre en présence deux fiers antagonistes, pressés d’étaler leur science et d’amuser la compagnie en soutenant chacun une thèse dont personne ne désire trouver la solution, mais d’éclaircir toute discussion inutile en y faisant intervenir tous ceux qui peuvent à point y jeter du jour. C’est un talent que je ne vois point chez ces maîtresses de maison si prônées. Chez elles, je vois toujours deux avocats en vogue et un auditoire ébahi, où personne n’est juge ; elles ont l’art de rendre le génie ridicule, le vulgaire muet et inerte ; et l’on sort de là en disant : « C’est bien parlé », et rien de plus.

Je pense bien que j’avais raison ; mais je me souviens aussi que ma grande colère contre les femmes venait de ce qu’elles ne faisaient aucune attention aux gens qui se croyaient du mérite et qui n’avaient pas de célébrité ; et ces gens-là, c’était moi, comme vous pouvez bien l’imaginer. D’un autre côté, et maintenant que j’y songe sans prévention et sans vanité blessée, je suis certain que ces femmes avaient un système d’adulation pour les favoris du public, qui ressemblait beaucoup plus à une puérile vanité qu’à une sincère admiration ou à une franche sympathie. Elles étaient comme une sorte d’éditeurs de la conversation, écoutant de toutes leurs oreilles, et faisant impérieu-