Page:Sand - Mauprat.djvu/216

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sement signe à l’auditoire d’écouter religieusement toute niaiserie sortant d’une bouche illustre, tandis qu’elles étouffaient un bâillement et faisaient claquer les branches de leur éventail à toute parole, si excellente qu’elle fût, dès qu’elle n’était pas signée d’un nom en vogue. J’ignore les airs des femmes beaux esprits du xixe siècle ; j’ignore même si cette race subsiste encore il y a trente ans que je n’ai été dans le monde ; mais, quant au passé, vous pouvez croire ce que je vous en dis. Il y en avait cinq ou six qui m’étaient réellement odieuses. L’une avait de l’esprit, et dépensait à tort et à travers ses bons mots, qui étaient aussitôt colportés dans tous les salons, et qu’il me fallait entendre répéter vingt fois dans un jour ; une autre avait lu Montesquieu et faisait la leçon aux plus vieux magistrats ; une troisième jouait de la harpe pitoyablement, mais il était convenu que ses bras étaient les plus beaux de France ; et il fallait supporter l’aigre grincement de ses ongles sur les cordes, afin qu’elle pût ôter ses gants d’un air timide et enfantin. Que sais-je des autres ? Elles rivalisaient d’affectation et de niaises hypocrisies dont tous les hommes consentaient puérilement à paraître dupes. Une seule était vraiment belle, ne disait rien, et plaisait par la nonchalance de ses attitudes. Celle-là eût trouvé grâce devant moi parce qu’elle était ignorante, mais elle en faisait gloire, afin de contraster avec les autres par une piquante ingénuité. Un jour, je découvris, qu’elle avait de l’esprit, et je la pris en aversion.

Edmée restait seule dans toute sa fraîcheur de sincérité, dans tout l’éclat de sa grâce naturelle. Assise sur un sofa auprès de M. de Malesherbes, elle était la même personne que j’avais contemplée tant de fois au soleil couchant, sur le banc de pierre au seuil de la chaumière de Patience.