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Page:Sand - Mauprat.djvu/218

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familiarité et plus d’égards, nuance que la différence de nos caractères et de nos âges amenait naturellement, et qui ne prouvait aucune préférence pour l’un ou pour l’autre. Je pouvais donc attribuer sa promesse à un arrêt de sa conscience ; l’intérêt qu’elle prenait à m’instruire, au culte qu’elle rendait à la dignité humaine réhabilitée par la philosophie ; son affection calme et continue pour M. de La Marche, à un regret profond, dominé par la force et la sagesse de son esprit. Ces perplexités étaient poignantes. L’espoir de forcer son amour par ma soumission et mon dévouement m’avait longtemps soutenu, mais cet espoir commençait à s’affaiblir, car, de l’aveu de tous, j’avais fait des progrès extraordinaires, des efforts prodigieux, et il s’en fallait de beaucoup que l’estime d’Edmée pour moi eût grandi dans la même proportion. Elle n’avait pas paru étonnée de ce qu’elle appelait ma haute intelligence : elle y avait toujours cru ; elle l’avait louée plus que de raison. Mais elle ne s’aveuglait pas sur les défauts de mon caractère, sur les vices de mon âme ; elle me les reprochait avec une douceur impitoyable, avec une patience faite pour me désespérer, car elle semblait avoir pris le parti de ne m’aimer jamais ni plus ni moins, quoi qu’il arrivât désormais.

Cependant tous lui faisaient la cour et nul n’était agrée. On avait bien dit dans le monde qu’elle était promise à M. de La Marche, mais on ne comprenait pas plus que moi le retard indéfini apporté à cette union. On en vint à dire qu’elle cherchait des prétextes pour se débarrasser de lui, et on ne trouva pas à motiver cette répugnance autrement qu’en lui supposant une grande passion pour moi. Mon histoire singulière avait fait du bruit : les femmes m’examinaient avec curiosité, les hommes me témoignaient de l’intérêt et une sorte de considération que