Page:Sand - Mauprat.djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le printemps était revenu cependant, nous allions retourner à la campagne ; les salons se dépeuplaient, et j’étais toujours dans la même incertitude. Je remarquai un jour que M. de La Marche montrait, malgré lui, le désir de se trouver seul avec Edmée. Je pris d’abord plaisir à le faire souffrir en restant immobile sur ma chaise ; mais je crus voir au front d’Edmée ce léger pli que je connaissais si bien, et, après un dialogue muet avec moi-même, je sortis, décidé à voir les suites de ce tête-à-tête et à connaître mon sort, quel qu’il fût.

Je revins au salon au bout d’une heure ; mon oncle était rentré ; M. de La Marche restait à dîner ; Edmée était rêveuse, mais non triste ; l’abbé lui adressait avec les yeux des questions qu’elle n’entendait pas ou ne voulait pas entendre.

M. de La Marche accompagna mon oncle à la Comédie-Française. Edmée dit qu’elle avait à écrire et demanda la permission de rester. Je suivis le comte et le chevalier mais, après le premier acte, je m’esquivai et je rentrai à l’hôtel. Edmée avait fait défendre sa porte, mais je ne pris pas cette défense pour moi ; les domestiques trouvaient tout simple que j’agisse en enfant de la maison. J’entrai au salon, tremblant qu’Edmée ne fût dans sa chambre ; là, je n’aurais pu la poursuivre. Elle était près de la cheminée et s’amusait à effeuiller les asters bleus et blancs que j’avais cueillis dans une promenade au tombeau de Jean-Jacques Rousseau. Ces fleurs me rappelaient une nuit d’enthousiasme, un clair de lune, les seules heures de bonheur peut-être que je pusse mentionner dans ma vie.

— Déjà rentré me dit-elle sans se déranger.

— Déjà est un mot bien dur, lui répondis-je ; voulez-vous que je me retire dans ma chambre, Edmée ?

— Non pas, vous ne me gênez nullement ; mais vous