Page:Sand - Mauprat.djvu/235

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Lorsqu’une surprise nous mettait en danger, il n’avait de soucis et d’exclamations que pour les précieux cailloux et les inappréciables brins d’herbe qu’il portait en croupe ; et pourtant, lorsqu’un de nous était blessé, il le soignait avec une bonté et un zèle incomparables.

Il vit, un jour, la boîte d’or que je cachais sous mes habits, et il me supplia instamment de la lui céder pour y mettre quelques pattes de mouche et quelques ailes de cigale qu’il eût défendues jusqu’à la dernière goutte de son sang. Il me fallut tout le respect que je portais aux reliques de l’amour pour résister aux instances de l’amitié. Tout ce qu’il put obtenir de moi, ce fut de glisser dans ma précieuse boîte une petite plante fort jolie qu’il prétendait avoir découverte le premier, et qui n’eut droit d’asile à côté du billet et de l’anneau de ma fiancée qu’à la condition de s’appeler Edmunda sylvestris. Il y consentit ; il avait donné à un beau pommier sauvage le nom de Samuel Adams, celui de Franklin à je ne sais quelle abeille industrieuse, et rien ne lui plaisait comme d’associer ces nobles enthousiasmes à ses ingénieuses observations.

Je conçus pour lui un attachement d’autant plus vif que c’était ma première amitié pour un homme de mon âge. Le charme que je trouvais dans cette liaison me révéla une face de la vie, des facultés et des besoins de l’âme que je ne connaissais pas. Comme je ne pus me détacher jamais des premières impressions de mon enfance, dans mon amour pour la chevalerie, je me plus à voir en lui mon frère d’armes et je voulus qu’il me donnât ce titre, à l’exclusion de tout autre ami intime. Il s’y prêta avec un abandon de cœur qui me prouva combien la sympathie était vive entre nous. Il prétendait que j’étais né pour être naturaliste, à cause de mon aptitude à la vie nomade