Page:Sand - Mauprat.djvu/264

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Mlle Edmée a voulu qu’il y eût de l’argent dans mes mains, que je pusse en disposer sans la consulter d’avance ; c’est ce que je ne me suis jamais permis, et aussi jamais elle ne m’a contredit une seule fois dans mes idées. Mais tout cela, voyez-vous, m’a donné bien de la fatigue et bien du souci. Depuis que les habitants savent que je suis un petit Turgot, ils se sont mis ventre à terre devant moi, et cela m’a fait de la peine. J’ai donc des amis dont je ne me soucie pas, et j’ai aussi des ennemis dont je me passerais bien. Les faux besogneux m’en veulent de ne pas être leur dupe ; il y a des indiscrets et des gens sans vertu qui trouvent qu’on fait toujours trop pour les autres, jamais assez pour eux. Au milieu de ce bruit et de ces tracasseries, je ne me promène plus la nuit, je ne dors plus le jour ; je suis monsieur Patience, et non plus le sorcier de la tour Gazeau, mais je ne suis plus le solitaire ; et, croyez-moi, je voudrais de tout mon cœur être né égoïste, et jeter là le collier pour retourner à ma vie sauvage et à ma liberté. »

Patience nous ayant fait ce récit, nous lui fîmes compliment ; mais nous nous permîmes une objection contre sa prétendue abnégation personnelle ; ce jardin magnifique attestait une transaction avec les nécessités superflues dont il avait toute sa vie déploré l’usage chez les autres.

— Cela ? dit-il en allongeant le bras du côté de son enclos. Cela ne me regarde pas ; ils l’ont fait malgré moi ; mais, comme c’étaient de braves gens et que mon refus les affligeait, j’ai été forcé de le souffrir. Sachez que, si j’ai fait bien des ingrats, j’ai fait aussi quelques heureux reconnaissants. Or, deux ou trois familles auxquelles j’ai rendu service ont cherché tous les moyens possibles de me faire plaisir ; et, comme je refusais tout, on a imaginé de me