Page:Sand - Mauprat.djvu/265

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surprendre. Une fois, j’avais été passer plusieurs jours à la Berthenoux pour une affaire de confiance dont on m’avait chargé ; car on est venu à me supposer un grand esprit, tant les gens sont portés à passer d’une extrémité à l’autre. Quand je revins, je trouvai ce jardin tracé, planté et fermé comme vous l’avez vu. J’eus beau me fâcher, dire que je ne voulais pas travailler, que j’étais trop vieux, et que le plaisir de manger quelques fruits de plus ne valait pas la peine que ce jardin allait me coûter à l’entretenir ; on n’en tint compte et on l’acheva, en me déclarant que je n’aurais rien à y faire, parce qu’on se chargeait de le cultiver pour moi. En effet, depuis deux ans, les braves gens n’ont pas manqué de venir, tantôt celui-ci, tantôt celui-là, passer dans chaque saison le temps nécessaire à son parfait entretien. Au reste, quoique je n’aie rien changé à ma manière de vivre, le produit de ce jardin m’a été utile : j’ai pu nourrir pendant l’hiver plusieurs pauvres avec mes légumes ; les fruits me servent à gagner l’amitié des petits enfants, qui ne crient plus au loup quand ils me voient, et qui s’enhardissent jusqu’à venir embrasser le sorcier. On m’a aussi forcé d’accepter du vin et, de temps en temps, du pain blanc et des fromages de vache ; mais tout cela ne me sert qu’à faire politesse aux anciens du village, quand ils viennent m’exposer les besoins de l’endroit et me charger d’en informer le château. Ces honneurs ne me tournent pas la tête, voyez-vous ; et même je puis dire que, quand j’aurai fait à peu près tout ce que j’ai à faire, je laisserai là les soucis de la grandeur et je retournerai à la vie du philosophe, peut-être à la tour Gazeau, qui sait ?

Nous touchions au terme de notre marche. En mettant le pied sur le perron du château, je joignis les mains, et, saisi d’un sentiment religieux, j’invoquai le ciel avec une sorte de terreur. Je ne sais quel vague effroi se réveilla ;