Page:Sand - Mauprat.djvu/29

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demandaient pas d’argent. Les valeurs monétaires sont ce que le paysan de ces contrées réalise avec le plus de peine, ce dont il se dessaisit avec le plus de répugnance. L’argent est cher est un de ses proverbes, parce que l’argent représente pour lui autre chose qu’un travail physique. C’est un commerce avec les choses et les hommes du dehors, un effort de prévoyance ou de circonspection, un marché, une sorte de lutte intellectuelle qui l’enlève à ses habitudes d’incurie, en un mot, un travail de l’esprit ; et, pour lui, c’est le plus pénible et le plus inquiétant.

Les Mauprat, connaissant bien le terrain et n’ayant plus de grands besoins d’argent, puisqu’ils avaient renoncé à payer leurs dettes, réclamèrent seulement des denrées. L’un subit la surtaxe sur ses chapons, un autre sur ses veaux, un troisième fournit le blé, un quatrième le fourrage, et ainsi de suite. On avait soin de rançonner avec discernement, de demander à chacun ce qu’il pouvait donner sans se gêner outre mesure ; on promettait à tous aide et protection, et, jusqu’à un certain point, on tenait parole. On détruisait les loups et les renards, on accueillait et on cachait les déserteurs, on aidait à frauder l’État, en intimidant les employés de la gabelle et les collecteurs de l’impôt.

On usa de la facilité d’abuser le pauvre sur ses véritables intérêts, et de corrompre les gens simples en déplaçant le principe de leur dignité et de leur liberté naturelle. On fit entrer toute la contrée dans l’espèce de scission qu’on avait faite avec la loi, et on effraya tellement les fonctionnaires chargés de la faire respecter qu’elle tomba en peu d’années dans une véritable désuétude ; de sorte que, tandis qu’à une faible distance de ce pays la France marchait à grands pas vers l’affranchissement des classes pauvres, la Varenne suivait une marche rétrograde et