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Page:Sand - Mauprat.djvu/30

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retournait à plein collier vers l’ancienne tyrannie des hobereaux. Il fut bien aisé aux Mauprat de pervertir ces pauvres gens : ils affectèrent de se populariser, afin de contraster avec les autres nobles de la province, qui conservaient dans leurs manières la hauteur de leur antique puissance. Mon grand-père ne perdait pas surtout cette occasion de faire partager aux paysans son animadversion contre son cousin Hubert de Mauprat. Tandis que celui-ci donnait audience à ses chevanciers, lui, assis dans son fauteuil, eux debout et la tête nue, Tristan de Mauprat les faisait asseoir à sa table, goûtait avec eux le vin qu’ils lui apportaient en hommage volontaire, et les faisait reconduire par ses gens au milieu de la nuit, tous ivres morts, la torche en main et faisant retentir la forêt de refrains obscènes. Le libertinage acheva la démoralisation des paysans. Les Mauprat eurent bientôt dans toutes les familles des accointances que l’on toléra parce qu’on y trouva du profit, et, faut-il le dire ? hélas ! des satisfactions de vanité. La dispersion des habitations favorisait le mal. Là, point de scandale, point de censure. Le plus petit village eût suffi pour faire éclore et régner une opinion publique ; mais il n’y avait que des chaumières éparses, des métairies isolées ; des landes et des taillis mettaient entre les familles des distances assez considérables pour qu’elles ne pussent exercer mutuellement leur contrôle. La honte fait plus que la conscience. Il est inutile de vous dire quels nombreux liens d’infamie s’établirent entre les maîtres et les esclaves : la débauche, l’exaction et la banqueroute furent l’exemple et le précepte de ma jeunesse, et l’on menait joyeuse vie. On se moquait de toute équité, on ne remboursait aux créanciers ni intérêts ni capitaux, on rossait les gens de loi qui se hasardaient à venir faire des sommations, on canardait la maréchaussée lorsqu’elle ap-