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Page:Sand - Mauprat.djvu/318

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Edmée avait alors regardé le visage du moine, et elle avait reconnu…

— Ce que vous n’imagineriez jamais, dit-elle, l’affreux Jean Mauprat ! Je ne l’avais vu qu’une heure dans ma vie, mais cette figure repoussante n’était jamais sortie de ma mémoire, et jamais je n’ai eu le moindre accès de fièvre sans qu’elle se présentât devant mes yeux. Je ne pus retenir un cri.

« — N’ayez pas peur, nous dit-il avec un effroyable sourire, je viens ici non en ennemi, mais en suppliant. »

Et il se mit à genoux si près de mon père que, ne sachant ce qu’il voulait faire, je me jetai entre eux, et je poussai violemment le fauteuil à roulettes qui recula jusqu’à la muraille. Alors le moine, parlant d’une voix lugubre, que rendait encore plus effrayante l’approche de la nuit, se mit à nous déclamer je ne sais quelle formule lamentable de confession, demandant grâce pour ses crimes, et se disant déjà couvert du voile noir des parricides lorsqu’ils montent à l’échafaud.

« — Ce malheureux est devenu fou, dit mon père en tirant le cordon de la sonnette.

Mais Saint-Jean est sourd et il ne vint pas. Il nous fallut donc entendre, dans une angoisse inexprimable, les discours étranges de cet homme qui se dit trappiste, et qui prétend qu’il vient se livrer au glaive séculier en expiation de ses forfaits. Il voulait, auparavant, demander à mon père son pardon et sa dernière bénédiction. En disant cela, il se traînait sur ses genoux et parlait avec véhémence. Il y avait de l’insulte et de la menace dans le son de cette voix qui proférait les paroles d’une extravagante humilité. Comme il se rapprochait toujours de mon père, et que l’idée des sales caresses qu’il semblait vouloir lui adresser me remplissait de dégoût, je lui ordonnai d’un ton assez impé-