Page:Sand - Mauprat.djvu/51

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ôta son chapeau du plus loin qu’il vit Patience, et, lorsque nous fûmes vis-à-vis de lui, quoiqu’il eût la tête baissée, et qu’il semblât ne faire aucune attention à nous, l’enfant, frappé de terreur, lui dit d’une voix tremblante :

— Bonsoir et bonne nuit, maître Patience !

Le sorcier, sortant de sa rêverie, tressaillit comme un homme qui s’éveille, et je vis, non sans une certaine émotion, sa figure basanée, à demi couverte d’une épaisse barbe grise. Sa grosse tête était tout à fait dépouillée, et la nudité du front contrastait avec l’épaisseur du sourcil derrière lequel un œil rond, et enfoncé profondément dans l’orbite, lançait des éclairs comme on en voit à la fin de l’été derrière le feuillage pâlissant. C’était un homme de petite taille, mais large des épaules et bâti comme un gladiateur. Il était couvert de haillons orgueilleusement malpropres. Sa figure était courte et commune comme celle de Socrate, et, si le feu du génie brillait dans ses traits fortement accusés, il m’était impossible de m’en apercevoir. Il me fit l’effet d’une bête féroce, d’un animal immonde. Un sentiment de haine s’empara de moi, et, résolu de venger l’affront fait par lui à mon nom, je mis une pierre dans ma fronde, et, sans autres préliminaires, je la lançai avec vigueur.

Au moment où la pierre partit, Patience était en train de répondre à la salutation de l’enfant.

— Bonsoir, enfants ; Dieu soit avec vous !… nous disait-il, lorsque la pierre siffla à son oreille et alla frapper une chouette apprivoisée qui faisait les délices de Patience et qui commençait à s’éveiller avec la nuit dans le lierre dont la porte était couronnée.

La chouette jeta un cri aigu et tomba sanglante aux pieds de son maître, qui lui répondit par un rugissement, et resta immobile de surprise et de fureur pendant quelques secondes.