Page:Sand - Mauprat.djvu/89

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petite tape sur la joue, je vois que tu es jaloux ; mais c’est un singulier jaloux que celui qui veut posséder sa maîtresse à dix heures pour la céder à minuit à huit hommes ivres qui la lui rendront demain aussi sale que la boue des chemins.

— Ah ! tu as raison, m’écriai-je, va-t’en ! va-t’en ! Je te défendrais jusqu’à la dernière goutte de mon sang, mais je succomberais sous le nombre et je périrais avec la pensée que tu leur restes. Quelle horreur ! tu m’y fais penser ; me voilà triste. Allons, pars !

— Oh ! oui ! oh ! oui ! mon ange, s’écria-t-elle en m’embrassant sur les joues avec effusion.

Cette caresse, la première qu’une femme m’eût faite depuis mon enfance, me rappela, je ne sais comment ni pourquoi, le dernier baiser de ma mère ; et, au lieu de plaisir, elle me causa une tristesse profonde. Je me sentis les yeux pleins de larmes. Ma suppliante s’en aperçut et baisa mes larmes en répétant toujours :

— Sauve-moi ! sauve-moi !

— Et ton mariage ? lui dis-je. Oh ! écoute, jure-moi que tu ne te marieras pas avant que je meure ; ce ne sera pas long, car mes oncles font bonne justice et courte justice, comme ils disent.

— Est-ce que tu ne vas pas me suivre ? reprit-elle.

— Te suivre ? Non ! pendu là-bas pour avoir fait le métier de bandit, pendu ici pour t’avoir fait évader, ce sera toujours bien la même chose, et, du moins, je n’aurai pas la honte de passer pour un délateur et d’être pendu en place publique.

— Je ne te laisserai pas ici, s’écria-t-elle, dussé-je y mourir ; viens avec moi ; tu ne risques rien, crois-en ma parole. Je réponds de toi devant Dieu. Tue-moi si je mens, mais partons vite… Mon Dieu ! je les entends chanter ! Ils