Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/132

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rien ravagé, peut-être rien effleuré du tout ; mais on voit aussi dans l’attitude aisée et instinctivement fière, dans la liberté de l’accent et de la démarche, dans la spontanéité des réponses, qu’elle sent en elle une force vraie et que ce serait tant pis pour le lâche ou l’idiot qui espérerait la tromper.

Elle ne cherche pas l’esprit, elle en a pourtant : un esprit doux et sage, indulgent et naturellement gai. Mais elle a plus que cela, elle a une raison cultivée, elle a lu et réfléchi dans sa solitude, elle est très-instruite pour une femme, et elle a des côtés d’intelligence très-sérieux. Elle a aussi des idées, et on voit bien que deux ans de causerie et d’épanchement avec M Sylvestre ont passé par là. Elle a une sorte de culte pour ce vieillard, et, si elle est destinée à avoir une imperfection, ce sera d’avoir vu par ses yeux et d’avoir trop accepté par enthousiasme des opinions toutes faites. Ma protestation contre ces théories nuira-t-elle à notre amitié ? Peut-être que non, car M. Sylvestre est dans la pratique un apôtre de tolérance.

J’ai eu, parmi quelques autres, une très-intéressante journée où, en présence de notre ami, elle a raconté de point en point toute sa vie. J’essayerai de te la résumer sans tenir compte des questions et des interruptions qui ont provoqué les développements. Je fais donc parler Aldine sans espérer rendre la bonhomie et la simplicité de son récit.

— Je n’ai pas souvenir de mon père au commencement de ma vie. J’avais deux ou trois ans quand il repartit pour le Brésil, où il avait fait déjà de belles affaires : du moins, il le disait à ma mère ; mais il ne nous laissa pas de quoi l’attendre, car il resta plus de dix ans absent, et donnant si peu de ses nouvelles.