Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/135

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prompt à la menace, fit mine de vouloir le frapper. L’enfant, effrayé, recula jusqu’au bord d’un escalier de service où il roula à la renverse. Il resta malade et contrefait, et on dut le confier aux soins d’un médecin spécial qui promit de le guérir et de le redresser, mais qui ne put que prolonger un peu sa vie et le nourrir d’espérances.

» Mon père fut sans doute très-affligé de ce malheur, mais son chagrin se manifesta par des accès de colère et de dureté qui m’épouvantaient. Ses habitudes de commandement tournèrent à une frénésie inquiétante, et je crois bien qu’à partir de ce moment il perdit la raison. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il est mort fou, et je dois le dire pour le faire absoudre d’avance de tout ce que j’ai souffert de bizarre auprès de lui.

» D’abord il me reprocha ma laideur et prétendit qu’il y avait de ma faute, parce que j’étais maigre et chétive, et que j’entretenais ma maigreur par une activité bourgeoise, mesquine, déplacée chez la fille d’un millionnaire. J’étais laborieuse, il me voulut nonchalante ; j’aimais à m’instruire, il me voulut ignorante. Je dus me soumettre à ne rien faire, à passer ma vie dans un hamac, bonne couchette pour la nuit, mais qui devient un supplice quand on est astreint par ordre à y compter les heures de la journée. J’aimais les soins du ménage, il me les interdit absolument. Je ne tenais pas à la parure, il me couvrit de diamants, luxe ridicule et déplacé chez une jeune fille. Je voulais porter le deuil de ma mère, il m’en empêcha. Il me permettait à peine de faire de la musique un instant et d’ouvrir un livre à la dérobée. J’étais fort soumise, j’avais grand’peur de lui ; mais, quand ma mère fut morte et mon frère estropié, la colère me vint au cœur