Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/158

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Cela, je le reconnais, je n’ai pas la bosse de l’autorité, je suis cruellement payé pour le savoir, et c’est peut-être ce qui m’a toujours préservé de l’ambition. Il est fâcheux, mon papa, que vous n’ayez pas trente ou quarante ans de plus, vous auriez été plus persuasif et plus inflexible que moi ; mais votre figure de jeune homme vous interdit l’influence et toute tentative de direction sur une jeune fille.

Que pouvais-je répondre à M. Sylvestre ? Rien en vérité. De quel droit mettrions-nous obstacle à l’amélioration d’une triste destinée ? Pourquoi accuser un honnête homme de projets infâmes parce que son profil grec se termine en barbe de faune ? Pourquoi, d’ailleurs, douter de l’énergie avec laquelle une fille chaste saurait se défendre de la séduction ? Et puis, moi, tout cela ne me regarde pas ; elle n’est pas ma sœur, elle n’est pas ma fiancée, et, quand je dis quelle est mon amie, je bats la campagne comme un romancier.

Mais il me répugne, après les doutes que M. Sylvestre a fait naître dans mon esprit, de m’employer à cette négociation. J’ai signifié à l’ermite que je ne m’en mêlerais pas, et, pour qu’il n’y ait pas de doutes à cet égard, j’irai voir Gédéon demain pour lui dire de faire ses affaires lui-même.

La soirée est à l’orage, et la vallée est singulièrement triste et oppressée : le ciel est bas, rayé de nuées violettes qui semblent vouloir tout écraser. Les derniers reflets du couchant sont d’un jaune cuivré lugubre. Les rossignols chantent par phrases nerveuses, inachevées, comme si le bruit de leur voix les effrayait tout d’un coup. La campagne n’est décidément pas belle ici. Trop de joli, et pas assez de caractère. Le