Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/172

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» J’aurais dû vous dire plus tôt mon histoire ; après les soins que vous m’avez prodigués, l’amitié vraiment filiale que j’ai trouvée en vous, je vous devais toute ma confiance. J’ai été retenu par ma répugnance habituelle à parler d’un passé que je voudrais oublier et d’un présent auquel je ne puis porter remède.

» Je me nomme Léonce de Magneval. C’est tout vous dire en un mot, car il y a de par le monde une malheureuse créature que vous connaissez, et qui a rendu tristement célèbre ce nom modeste et honorable d’un obscur gentilhomme ; mais je dois entrer dans quelques détails.

» Je suis Champenois de race et de naissance ; n’ayant hérité d’aucune fortune, j’ai servi l’Empire à la veille de sa chute. J’ai toujours eu la religion de la liberté : mais, à ce moment de notre histoire, l’Empire, c’était la patrie, et je me suis battu avec la rage du désespoir à Waterloo. À vingt-quatre ans, j’étais officier et décoré. Ma carrière fut brisée. Je ne voulus pas servir la Restauration, je dus vivre de ma demi-solde et du mince produit de mon héritage.

» Je ne demandais pas beaucoup plus, j’ai toujours eu des goûts simples, j’étais déjà très-studieux ; je vivais tranquille quand l’amour mit ses orages dans mon cœur. J’aimais une personne admirablement belle et convenablement élevée qui m’eût rendu heureux si elle eût su être heureuse elle-même. Ses mœurs furent irréprochables ; mais son humeur ambitieuse me créa mille tourments. Elle me reprochait mon apathie et se sentait dévorée d’ennuis et d’humiliations dans notre modeste gentilhommière. Elle avouait m’avoir épousé à cause de mon nom et détruisait par d’incessantes récriminations les illusions de mon amour.