Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/173

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Nerveuse, irritable, emportée même, après avoir mal amené au monde deux enfants qui ne vécurent pas, elle élevait notre fille Irène dans des idées absolument contraires aux miennes, ne l’entretenant que de futilités et lui montrant toujours un idéal de richesses et de luxe auquel il ne nous était pas possible de prétendre.

» Irène était belle et remplie de séductions. À dix ans, elle était déjà coquette et agissait comme une femme qui calcule et intrigue pour soumettre tout le monde à ses fantaisies. J’essayai en vain de prendre de l’ascendant sur elle. Je n’en eus jamais. Elle était douée d’une énergie diabolique, et moi, naturellement tendre, je ne savais pas refuser mon pardon et mes caresses à ses larmes et à ses emportements de repentir habilement joués. Je ne sais pas punir, voilà mon malheur ! Et puis ma femme me reprochait amèrement les moindres tentatives de sévérité, et ma fille, en s’entendant traiter de victime, riait sous cape du rôle ridicule qui m’était assigné.

» Irène avait déjà quinze ans quand notre fortune changea subitement. Nous avions un parent riche, âgé, sceptique et libertin, que je voyais rarement et chez qui je ne voulais pas mener ma fille, certain qu’elle ne trouverait là que de mauvais conseils et de mauvais exemples. Son château était très-voisin de notre petite ferme, et il vint une ou deux fois nous rendre visite. Je lui fis un accueil assez froid ; il ne revint pas, et ma femme m’en fit de vifs reproches. Selon elle, ce cousin était malade, usé, près de mourir. Nous étions ses héritiers naturels. Un peu d’amabilité de ma part eût pu assurer une fortune à ma fille, et j’avais fait exprès de lui aliéner la bienveillance qu’elle eût voulu conquérir.